De moi à vous

Comment l’esprit vient aux femmes …

Alors déjà pour commencer cette réflexion, je ne tiens pas là absolument à prouver que je suis une femme intelligente, spirituelle, drôle etc… je sais que je le suis.
On a beau vivre dans le judéo-chrétien jusqu’au cou et être habitué à s’auto-flageller, de fait, il faut à un moment voir les choses en face et la réalité, comme dirait Platon ( oui, j’y fais souvent référence, c’est un maître. Il y en a qui citent Coluche, moi je cite Platon ou Nietzsche ou comme ici La Fontaine ) . Cette réalité, comme dirait Platon donc, est parfois douloureuse mais elle a le mérite d’exister, même si elle varie.
Donc, parlant des femmes intelligentes et qui sont souvent seules, comme une sorte de fatalité, on peut se poser la question de savoir pourquoi ?
La femme trop intelligente va couper les cheveux en quatre ? La femme spirituelle va trouver le bon mot au bon moment ? La femme qui pense va faire mettre le doigt sur des contradictions ? Elle sera vêcue comme agressive, titilleuse.
Partir aux Bahamas ou ailleurs avec une femme qui réfléchit est tout sauf cool à en croire les hommes. Tout est sujet à conversation à bâtons rompus avec elle.

La femme intelligente n’est pas toujours bonne-vivante, ce qui ne l’empêche pas de rire beaucoup à commencer par rire d’elle-même. Peut être pas  » bonne-vivante  » mais vivante et consciente ou plus vivante car plus consciente.


Penser entraine certes parfois des surgissements de phases d’angoisse. Il est bien entendu que les cons ont moins d’angoisses que les gens qui réfléchissent. Donc, en sus, la femme qui pense est difficile à cerner, inattendue, surprenante voire changeante et ça c’est déconcerte.
Comme je suis une littéraire pur jus, je suis remontée, remontée ( au sens chronologique et non dans la colère : j’en vois qui déjà lèvent les yeux au ciel ), jusqu’au 17ème siècle et cette fable de La Fontaine : «  Comment l’esprit vient aux filles  » qui fait partie des Contes libertins :

Il est un jeu divertissant sur tous,
Jeu dont l’ardeur souvent se renouvelle:
Ce qui m’en plaît, c’est que tant de cervelle
N’y fait besoin, et ne sert de deux clous.
Or devinez comment ce jeu s’appelle.

Vous y jouez; comme aussi faisons-nous:
Il divertit et la laide et la belle:
Soit jour, soit nuit, à toute heure il est doux;
Car on y voit assez clair sans chandelle.
Or devinez comment ce jeu s’appelle.

Le beau du jeu n’est connu de l’époux;
C’est chez l’amant que ce plaisir excelle:
De regardants pour y juger des coups,
Il n’en faut point, jamais on n’y querelle.
Or devinez comment ce jeu s’appelle.

Qu’importe-t-il ? sans s’arrêter au nom,
Ni badiner là-dessus davantage,
Je vais encor vous en dire un usage,
Il fait venir l’esprit et la raison.
Nous le voyons en mainte bestiole.
Avant que Lise allât en cette école,
Lise n’était qu’un misérable oison.
Coudre et filer c’était son exercice;
Non pas le sien, mais celui de ses doigts;
Car que l’esprit eût part à cet office,
Ne le croyez; il n’était nuls emplois
Où Lise pût avoir l’âme occupée:

Lise songeait autant que sa poupée.
Cent fois le jour sa mère lui disait:
Va-t-en chercher de l’esprit malheureuse.
La pauvre fille aussitôt s’en allait
Chez les voisins, affligée et honteuse,
Leur demandant où se vendait l’esprit.
On en riait; à la fin l’on lui dit:
Allez trouver père Bonaventure,
Car il en a bonne provision.

Incontinent la jeune créature
S’en va le voir, non sans confusion:
Elle craignait que ce ne fût dommage
De détourner ainsi tel personnage.
Me voudrait-il faire de tels présents
,
A moi qui n’ai que quatorze ou quinze ans ?
Vaux-je cela ? disait en soi la belle.
Son innocence augmentait ses appas:
Amour n’avait à son croc de pucelle
Dont il crut faire un aussi bon repas.
Mon Révérend, dit-elle au béat homme
Je viens vous voir; des personnes m’ont dit
Qu’en ce couvent on vendait de l’esprit:
Votre plaisir serait-il qu’à crédit
J’en pusse avoir ? non pas pour grosse somme;
A gros achat mon trésor ne suffit:
Je reviendrai s’il m’en faut davantage
:
Et cependant prenez ceci pour gage.
A ce discours, je ne sais quel anneau
Qu’elle tirait de son doigt avec peine
Ne venant point, le père dit: Tout beau
Nous pourvoirons à ce qui vous amène
Sans exiger nul salaire de vous:
Il est marchande et marchande, entre nous;
A l’une on vend ce qu’à l’autre l’on donne.
Entrez ici; suivez-moi hardiment;
Nul ne nous voit, aucun ne nous entend,
Tous sont au choeur; le portier est personne
Entièrement à ma dévotion;

Et ces murs ont de la discrétion.
Elle le suit; ils vont à sa cellule.
Mon Révérend la jette sur un lit,
Veut la baiser; la pauvrette recule
Un peu la tête; et l’innocente dit:
Quoi c’est ainsi qu’on donne de l’esprit ?
Et vraiment oui, repart Sa Révérence;
Puis il lui met la main sur le téton:

Encore ainsi ? Vraiment oui; comment donc ?
La belle prend le tout en patience:
Il suit sa pointe; et d’encor en encor
Toujours l’esprit s’insinue et s’avance,
Tant et si bien qu’il arrive à bon port.
Lise riait du succès de la chose.
Bonaventure à six moments de là
Donne d’esprit une seconde dose.
Ce ne fut tout, une autre succéda;
La charité du beau père était grande.
Et bien, dit-il, que vous semble du jeu ?
A nous venir l’esprit tarde bien peu
Reprit la belle; et puis elle demande
Mais s’il s’en va ? s’il s’en va ? nous verrons

D’autres secrets se mettent en usage
N’en cherchez point, dit Lise, davantage;
De celui-ci nous nous contenterons
Soit fait, dit-il, nous recommencerons
Au pis aller, tant et tant qu’il suffise.
Le pis aller sembla le mieux à Lise
Le secret même encor se répéta
Par le Pater; il aimait cette danse.
Lise lui fait une humble révérence;
Et s’en retourne en songeant à cela.


Lise songer ! quoi déjà Lise songe !


Elle fait plus, elle cherche un mensonge,
Se doutant bien qu’on lui demanderait,
Sans y manquer, d’où ce retard venait
Deux jours après sa compagne Nanette
S’en vient la voir pendant leur entretien
Lise rêvait: Nanette comprit bien,
Comme elle était clairvoyante et finette,
Que Lise alors ne rêvait pas pour rien.
Elle fait tant, tourne tant son amie,
Que celle-ci lui déclare le tout.
L’autre n’était à l’ouïr endormie.
Sans rien cacher, Lise de bout en bout
De point en point lui conte le mystère,
Dimensions de I’esprit du beau père,
Et les encore, enfin tout le phébé.
Mais vous, dit-elle, apprenez-nous de grâce
Quand et par qui l’esprit vous fut donné.

Anne reprit: Puisqu’il faut que je fasse
Un libre aveu, c’est votre frère Alain
Qui m’a donné de l’esprit un matin.
Mon frère Alain ! Alain ! s’écria Lise,
Alain mon frère ! ah je suis bien surprise;
Il n’en a point; comme en donnerait-il ?
Sotte, dit l’autre, hélas tu n’en sais guère:
Apprends de moi que pour pareille affaire
Il n’est besoin que l’on soit si subtil.
Ne me crois-tu ? sache-le de ta mère;
Elle est experte au fait dont il s’agit;
Si tu ne veux, demande au voisinage;
Sur ce point-là l’on t’aura bientôt dit:

Vivent les sots pour donner de l’esprit.
Lise s’en tint à ce seul témoignage,
Et ne crut pas devoir parler de rien.
Vous voyez donc que je disais fort bien
Quand je disais que ce jeu-là rend sage.

Ainsi donc Lise trouva l’ESPRIT et devint SAGE.
Voilà qui donne à penser…

( Illustration Fragonard )

13 commentaires

  • pierre

    HAHA les contes libertins valent bien des histoires salaces. Et Lise de se mettre à mentir dès qu’elle pense. C’est si profond et léger La Fontaine; ET de plus vous avez aussi, dans vos écrits, cette profondeur et cette légèreté. J’étais un peu inquiet de ces quelques jours sans publication sur le blog. Mais je vois que vous êtes en forme. Merci de nous éclairer dans une blogosphère souvent bien terne ! Pierre

    • Dominique

      Trop de travail par ailleurs en effet d’où cette très petite pause. Merci Pierre, c’est ainsi que je suis en effet . Bon dimanche à vous !

  • cécile

    J’adore cette fable, j’ai plusieurs livres des fables sur ma table de chevet, mais les contes libertins n’existent que dans l’édition complète. Merci Dominique de cette trouvaille. Vous avez tout à fait raison d’en finir avec l’auto-flagellation, voyons nous comme nous sommes avec nos qualités et nos défauts, notre moral n’en ressortira que meilleur. A très vite pour ce plaisir de vous lire

  • carole

    Excellent ! La fontaine nous régale avec ses fables qui n’ont pas pris une ride . Quel orfèvre ! Merci Dominique de rappeler quelques éléments de bon sens. Vous êtes notre petit soleil avec vos posts ! Bon dimanche à vous

  • Marie Denise Fagnan

    Immense éclat de rire, je jubile littéralement…. Ah mais pauvrette que je suis , j’aurais du La Fontaine bien avant ! 😉

    • Dominique

      La Fontaine, c’est un régal ! Où va se nicher l’esprit … 🙂 Nous en avons donc toutes glané çà et là de l’esprit… 🙂 Lisez les contes libertins Marie, notre existence nous réserve bien des surprises !

  • Sophie

    L’esprit et la  » culotte  » font souvent bon ménage chez La Fontaine, merci douce Dominique de nous rappeler ces contes polissons en sus de deux ou trois vérités bonnes à entendre. Oui, nous avons pour habitude dans notre société de nous flageller à coups de  » je ne suis pas … je fais mal, je … mal, Etc …  » et pourtant nous savons tous au fond nos qualités qui sont grandes mais n’osons les mettre en avant . Judéo chrétien, en effet; merci pour ce bel article . Je crois que Crebillon à peu près à la même époque avait  » publié  » quelque chose de similaire, sur l’esprit et les filles.. bon we !

    • Dominique

      Et oui… Ras le bol de se sous voir, sous estimer, de se laisser embobiner sur nos travers. Oui, Crebillon, je crois aussi me souvenir, j’ai fait quelques recherches mais je n’ai rien trouvé ! Bon dimanche Sophie

  • jérôme

    Une belle femme avec de l’esprit voilà de quoi déconcerter beaucoup d’hommes et leur faire peur. Terriblement séduisant pourtant que d’entendre des paroles sensées sortir d’une jolie bouche, que de lire des articles plein d’esprit comme ceux que vous écrivez . L’apparence quand elle est seule, n’est rien sur le long terme. Votre amoureux a beaucoup de chance de vous avoir dans sa vie. J’adorerais avoir dans la mienne de vie, une femme si ouverte au monde, curieuse, belle et drôle car rien n’est pire que l’ennui. Etre au bras d’une jolie femme, élégante et qui réfléchit est si délicieux et valorisant pour un homme même si il faut pour cela accepter de quitter le masque du macho pour se remettre en cause. N’est-ce pas au final ce qu’on demande d’une relation ? Qu’elle nous fasse grandir et nous aide à nous épanouir. Une cerise sur le gâteau de la vie… Je ne connaissais pas les contes libertins de La Fontaine. Jolie fable, La Fontaine, un régal de clairvoyance. Bon we Dominique

    • Dominique

      Merci pour tous ces jolis compliments, je vais lui transmettre à l’amoureux. L’apparence est en effet peu de chose, le charme en revanche est quelque chose qui dure et la joie de vivre de même que la curiosité insatiable. On apprend beaucoup de l’autre et il me semble que c’est là que se niche la relation. Avoir toujours en face de soi un regard qui pétille d’amour. La Fontaine, j’adore et je remercie Luchini au passage qui sait dire les fables avec tant de passion, de plaisir et de verve. La fantaisie est mon moteur, elle permet d’échapper aux aléas nombreux de la vie. Bon dimanche !

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