
De l’ombre à la lumière
Digression.
Entre l’ombre et la lumière, quel tableau étonnant intitulé « LE BALLON » que nous donne à voir Félix Vallotton !
Un enfant court après une balle, sort de l’ombre pour attraper cette balle rouge.
Touche de couleur de la balle sur laquelle l’oeil se focalise avant de se poser sur les deux silhouettes qui s’éloignent là-bas dans les prés, dans une conversation douce. Celle de la promenade sans autre but que de prendre l’air, celle où on s’épanche, celle des souvenirs qui remontent ou des secrets trop longtemps tus et enfin révélés, là, dans cette sorte d’errance tranquille.
L’ombre des arbres s’étend au sol, semble vouloir rattraper l’enfant dans sa course, l’atteindre pour le dévorer. Sombre présage alors que cette ombre qui pourrait se mouvoir jusqu’à s’agripper aux jambes de l’enfant ou bien au contraire s’en éloigner, le laisser dans la lumière de la journée et celle du jeu. Là la vie aurait gagné en quelque sorte si on voit les choses ainsi.
Si on fait abstraction de la vie de Vallotton, de sa personnalité, on pourrait en effet aller vers ce triomphe de la lumière et de la vie, mais ce serait oublier les tourments du peintre, son mal être qui lui fait si souvent dans ses toiles glisser des touches sombres, aussi sombre que cette ombre intrusive, fantastique.
Cela m’amène à nouveau à cette sempiternelle interrogation : peut-on confondre la vie de l’artiste et son oeuvre ou doit-on faire abstraction de l’une pour ne considérer que l’autre?
Pour ma part je ne pense pas qu’on puisse distinguer celui qui fait de ce qui est fait. Dans la mesure où l’art est création d’un être, manière de voir et de concevoir, produit d’une sensibilité et d’une technique particulières, d’un regard, d’une histoire de vie, il me semble difficile de séparer les deux extrémités du pinceau.
De la même manière on ne peut isoler l’écrivain de son oeuvre. Ainsi Victor Hugo aurait-il tant pris en considération le milieu ouvrier, le travail des enfants dans « Melancholia » si il n’avait par ailleurs été profondément affecté dans sa vie d’homme par leurs difficultés dans ce siècle de l’industrialisation naissante ?
Rimbaud aurait-il écrit » Ma bohème » si il n’avait lui-même expérimenté au plus près les fugues adolescentes, l’ivresse de la liberté neuve comme on peut la vivre à 17 ans ?
Mais je m’éloigne du ballon, je botte en touche en fait 🙂
Et justement ce « BALLON » ? Qui n’est pas une balle, il va sans dire.
D’où vient le nom de ce tableau ?
Il faut un oeil exercé pour trouver, là dans l’ombre projetée par les arbres, une tâche ronde plus claire, celle qui figure le ballon abandonné par l’enfant qui court vers la balle rouge dans la lumière.
C’est le tableau tout entier qui change alors de sens. Le ballon éponyme de l’oeuvre devient l’objet délaissé, le jouet abandonné par l’enfant au profit de ce qui brille, de ce qui est lumineux.
Et dans cette trajectoire ainsi tracée sur le tableau, cette perpendiculaire qui semble le couper en deux, on peut lire d’un côté un passé où tout se confond dans la sombritude au profit d’un présent auquel la balle rouge, l’enfant et les deux femmes semblent appartenir.
L’hier et l’aujourd’hui, le passé et le présent.
La mort et la vie, comme une allégorie.

