De moi à vous

La Fontaine, un auteur licencieux

S’il est un écrivain qui rend heureux, c’est La Fontaine. Son objectif était d’ailleurs  » d’instruire en amusant « .
Trop souvent cantonné aux apprentissages scolaires au travers de ses fables, La Fontaine est pourtant d’abord auteur de Contes, licencieux de plus.
Entre licence et mondanité, toute une littérature mal connue apparait donc, pleine d’esprit où La Fontaine prend des libertés avec la versification et le vocabulaire. Ainsi en est-il de l’histoire de cette Abbesse qui souffre d’un mal étrange et à laquelle on va proposer un étrange remède :

L’Abbesse malade


Certaine abbesse un certain mal avait
Pâles couleurs nommé parmi les filles:
Mal dangereux, et qui des plus gentilles
Détruit l’éclat, fait languir les attraits.
Notre malade avait la face blême
Tout justement comme un saint de careme,
Bonne d’ailleurs, et gente à cela près.
La Faculté sur ce point consultée,
Après avoir la chose examinée,
Dit que bientôt Madame tomberait
En fièvre lente, et puis qu’elle mourrait.
Force sera que cette humeur la mange;
A moins que de. .. l’a moins est bien étrange
A moins enfin qu’elle n’ait à souhait
Compagnie d’homme. Hippocrate n’a pas
Choisi ses mots, ni ne les arrangea
.

C’est pour les beaux yeux de Marie Anne Mancini, la plus jeune mais pas la moins délurée des nièces de Mazarin, Duchesse de Bouillon, que La Fontaine commence à écrire ses contes, alors même qu’il n’est qu’un écrivaillon quasi inconnu de Château-Thierry.
Il faut dire que La Fontaine aura bien besoin de la protection des uns et des autres : il ne sera pas un auteur central au 17ème car ses relations avec le roi restent mauvaises depuis l’épisode Fouquet. Cela ne l’empêche pas d’être présent dans la mondanité et notamment les salons littéraires où les dames l’invitent volontiers pour écouter ses contes polissons….


Or donc, nous avions laissé L’ Abbesse souffreteuse avec un bien curieux remède à la clé !

Jésus, reprit toute scandalisée
Madame Abbesse: hé que dites-vous là ?
Fi. Nous disons, repartit à cela
La Faculté, que pour chose assurée
Vous en mourrez, à moins d’un bon galant
Bon le faut-il, c’est un point important:
Autre que bon n’est ici suffisant
Et si bon n’est deux en prendrez Mada
me.
Ce fut bien pis; non pas que dans son âme
Ce bon ne fût par elle souhaité
Mais le moyen que sa communauté
Lui vît sans peine approuver telle chose ?
Honte souvent est de dommage cause.

Soeur Agnès se propose
d’essayer un galant pour
encourager l’Abbesse. Sœur Agnès dit : Madame croyez-les.
Un tel remède est chose bien mauvaise,
S’il a le goût méchant à beaucoup près
Comme la mort. Vous faites cent secrets
Faut-il qu’un seul vous choque et vous déplaise ?
Vous en parlez, Agnès, bien à votre aise,

Reprit l’abbesse: or ,ca, par votre Dieu,
Le feriez-vous ? mettez-vous en mon lieu.
Oui da, Madame; et dis bien davantage:
Votre santé m’est chère jusque-là
Que s’il fallait pour vous souffrir cela,
Je ne voudrais que dans ce témoignage
D’affection pas une de céans
Me devançât. Mille remerciements
A Sœur Agnès donnés par son abbesse
La Faculté dit adieu là-dessus

Et protesta de ne revenir plus.
Tout le couvent se trouvait en tristesse,
Quand sœur Agnès qui n’était de ce lieu
La moins sensée, au reste bonne lame,
Dit a ses sœurs: Tout ce qui tient Madame
Est seulement belle honte de Dieu.
Par charité n’en est-il point quelqu’une
Pour lui montrer l’exemple et le chemin ?
Cet avis fut approuvé de chacune:
On l’applaudit, il court de main en main.
Pas une n’est qui montre en ce dessein
De la froideur, soit nonne, soit nonnette,
Mère prieure, ancienne, ou discrète,
On fait courrir le mot
et de nombreux galants

se présentent. D’autres
soeurs la suivent. Le billet trotte: on fait venir des gens
De toute guise, et des noirs, et des blancs,
Et des tannés L’escadron, dit l’histoire,
Ne fut petit, ni comme l’on peut croire
Lent à montrer de sa part le chemin.
Ils ne cédaient à pas une nonnain
Dans le désir de faire que Madame
Ne fut honteuse, ou bien n’eût dans son âme
Tel récipé possible à contrecœur
De ses brebis à peine la première

A fait le saut, qu’il suit une autre sœur.
Une troisième entre dans la carrière.
Nulle ne veut demeurer en arrière.
Presse se met pour n’être la dernière

Alors La Fontaine est-il pour autant à classer dans les épicuriens de ce 17 ème siècle ? Non car on a l’épicurisme assez austère à l’époque, ainsi évacue-t’on les plaisirs qui ne sont pas nécessaires.
Il n’en reste pas moins qu’il y a dans ces contes une transgression assez mesurée, joyeuse avec une touche de mélancolie qui çà et là affleure.
Mais les contes ont aussi une profondeur, une pensée : la sexualité comme part intime de l’homme et une  » philosophie  » : les maris étant très occupés à leurs affaires, les femmes prennent des amants libres de toutes contraintes, occupés seulement par une vie de plaisirs.


BEAU PROGRAMME ? 🙂


Mais où en est notre Abbesse ?

Finalement l’Abbesse se
décide et un jouvenceau
lui fait son affaire. Que dirais-je de plus? enfin l’impression
Qu’avait l’abbesse encontre ce remède,
Sage rendue à tant d’exemples cède.
Un jouvenceau fait l’opération
Sur la malade. Elle redevient rose,
Œillet, aurore, et si quelque autre chose
De plus riant se peut imaginer.
Ô doux remède, ô remède à donner,
Remède ami de mainte créature,
Ami des gens, ami de la nature,
Ami de tout, point d’honneur excepté.
Point d’honneur est une autre maladie –
Dans ses écrits Madame Faculté
N’en parle point. Que de maux en la vie !

Voilà un remède à la portée de tout un chacun !

Dans  » La coupe enchantée  » , La Fontaine met en scène un personnage, un homme, que sa femme a trompé en son absence et qui, jaloux, cherche à savoir non pas le pourquoi du comment, mais avec qui ?
La leçon du conte est qu’on ne devrait pas chercher à savoir, cela peut rendre malheureux.

Je tire donc ma conséquence,
Et dis malgré le peuple, ignorant et brutal,
Cocuage n’est point un mal
.

Alors sexualité sans amour, amour sans sexualité, amour avec sexualité … ?
LAISSONS A LA FONTAINE LE DERNIER MOT :


 » En amour chacun fait sinon à sa volonté du moins à sa mesure
 » .

Image mise en avant : Le verrou de Fragonard

Dominique Mallié

Et pour commander mon livre Voyage en Ménopausamie, chroniques de la cinquantaine débridée, c’est par là : Mallie.dominique@orange.fr oui dans la partie  » message personnel  » du blog qui vous est dédiée. Merci !

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