Nouvelles

L’amour au temps du corona…

A Philippe

Il y avait longtemps qu’Anna n’était venue hanter mes textes, mes nouvelles. Je l’ai laissée un soir de novembre dans un train qui partait pour Paris, elle y avait rencontré Antoine et pour quelques heures une folle passion.
Depuis le temps est passé.

Chacun d’entre eux est retourné à sa vie d’avant.
Parfois les histoires qu’on croit inscrites dans une durée vivent le temps de la fulgurance.
Anna avait repris son travail, peu à peu Antoine s’était éloigné et même si il lui arrivait encore de penser à lui, ça n’était plus dans le chagrin, mais peut être dans une forme de reconnaissance d’avoir entrevu, dans cette fulgurance, la possibilité de l’amour encore.


Les jours s’égrenaient dans leur lot d’habitudes, plaisantes ou moins, des projets à mettre en route et à concrétiser, de la vie qui se tissait, seule certes. Pas désagréable pour autant.


C’est à la fin de l’hiver suivant que les choses se sont passées.
C’est ce qu’elle m’a racontée.
C’était un après-midi de février, un jour de Mistral qui fait se courber les têtes, s’envoler les présentoirs devant les boutiques. Un Mistral qui s’engouffre partout, capricieux, par vagues bruyantes qui montent et cessent pour mieux reprendre, un Mistral en colère comme sait l’être ce vent capricieux.
Il y avait dans l’air en plus du Mistral comme un autre vent : celui de l’inquiétude. Là-bas, loin en Asie, en Chine exactement, se propageait un virus qui avait commencé à décimer une partie de la population. Quelques images à la télévision. Discrètes.
Pas d’inquiétude en Europe, il fallait préparer les élections. L’actualité politique et les scandales envahissaient les écrans de télévision. On affutait les listes çà et là, une effervescence un peu lasse, rien d’excitant dans ses municipales en dehors de coups bas et de déclarations à l’emporte-pièce.
C’était en sortant de la voiture, une Fiat 500 rutilante.
Il était là sur le trottoir.


On sait ça.


On le devine. Elle l’a deviné Anna que cet homme en manteau bleu marine, une mèche de cheveux dans le vent, la main autour de l’écharpe, elle même autour du cou, était peut être là pour elle.


Cadeau.


Dès le matin, elle avait senti que la journée serait autre, qu’elle porterait en elle les germes d’une nouveauté, un frisson. Peut être parce qu’elle s’était trouvée plus lumineuse qu’à l’habitude, peut être parce qu’Antoine devenait un souvenir, peut être… parce qu’il était temps après tout ce temps ou peut être parce que le Mistral toujours la mettait en joie.
Alors elle est allée vers lui, ou lui vers elle. Elle ne sait plus vraiment, dans ce mouvement de deux êtres qui se retrouvent d’un coup à se faire face et se sourire. Non, elle n’était pas la femme avec qui il avait rendez-vous, celle de l’agence immobilière et dommage … elle a ajouté, espiègle.

Le culot de ça.
Il a ri et tant qu’à faire on pourrait boire un café, non?
Oui, mais pas trop loin car j’ai horriblement mal au genou, pour tout dire, depuis plusieurs jours, je souffre. Il a eu l’air intéressé par cette douleur. Je suis médecin, je peux peut être vous aider. Il a dit ça. Ma foi peut être, j’ai pris un Doliprane déjà. La conversation devenait intime ( sur la voie de l’intimité ) . A quelle heure ? Il y a deux, trois heures je pense. Vous me faites confiance ? Il a ajouté avant de s’engouffrer dans une pharmacie.
Voilà, avec ça, ça va passer.
Ils sont allés dans le café d’Anna, elle a avalé le médicament et il la regardait.
La regardait avec étonnement et un brin d’amusement devant sa panique des supposées allergies à tout et rien. Devant toute cette hypocondrie qu’il pressentait sûrement, le désarroi de l’angoisse face à la possible réaction.
Et puis ils ont marché longtemps, se sont assis sur un banc.

Se sont racontés.
Deux jours plus tard, il l’invitait à déjeuner, deux jours plus tard elle dormait dans ses bras, quelques jours plus loin, ils passaient leur premier week end ensemble dans un endroit qu’il avait voulu beau parce qu’une belle histoire était en train de naitre.


Pendant ce temps, le virus poursuivait sa course, de postillons en éternuements, de toux en fièvre, d’insuffisances respiratoires en détresses. Le Nord de la France présentait un important foyer, peu à peu Paris et L’Ile de France allaient subir le même sort et puis tout le pays.
Anna et Philippe étaient à l’hôtel quand ils ont appris la nouvelle : l’hôtel allait fermer le soir même. C’était leur premier week-end et le dernier avant longtemps.
Mais ça, ils ne le savaient pas.

Philippe parlait de grippe, banalisait ce qu’il savait pourtant devoir être une catastrophe sanitaire.
Il me protégeait, tu vois, me raconte Anna. Il anticipait mes fragilités, me ménageait et puis il me sauverait, il l’affirmait, quand bien même je serais malade il viendrait et serait là toujours .
Toi, je te sauverai, il répétait.
Moi j’avais peur pour lui. Pourquoi faut-il qu’on commence à trembler pour l’autre dès lors qu’on en devient amoureux?
Il est reparti dans son hôpital pendant que nous nous enfermions dans nos appartements. Un hôpital beaucoup trop loin pour que je le rejoigne.


Un mois ou cinq semaines, tu te souviens toi ?


Les échanges téléphoniques ont commencé. Ils ont multiplié les modes de communication, ont poursuivi leur histoire dans la distance et les mots, loin des corps, dans cette douleur là de ne pas pouvoir se toucher. Douleur qu’il fallait taire parce que d’autres dans les chambres d’hôpitaux luttent pour faire entrer et sortir l’air.
Des dizaines de fois, ils se sont crus perdus l’un pour l’autre, que jamais ils n’arriveraient à cette vie commune à laquelle ils rêvaient, comme une folie à eux dans le cataclysme ambiant, une bulle qui protégeait du monde.


C’était l’amour dans un temps hors du temps.


Les courbes s’étalaient dans les journaux, on comptait les morts, le pic semblait inatteignable, toujours reculait, les images étaient violentes, anxiogènes.
Anna avait arrêté de regarder les informations. Sa vie était rythmée par les appels de Philippe, ses mots d’amour, sa hâte à la rejoindre. Ils rêvaient de l’après, des vacances à l’étranger auxquelles il allait pourtant falloir renoncer, mais alors où aller ailleurs, s’inquiétait-il , lui qui avait la passion des voyages lointains.
Le monde entier devenait hostile. L’autre était vu dans la peur.
Et dans cette hostilité même naissait leur histoire d’amour.


Au beau milieu de la boue naissait de l’or...

Dominique Mallié

Et pour commander mon livre Voyage en Ménopausamie, chroniques de la cinquantaine débridée, c’est par là : Mallie.dominique@orange.fr ou dans la partie  » message personnel  » du blog qui vous est dédiée. Merci !

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