
Le confinement ou comment être ensemble sans l’être
» La seule façon de mettre les gens ensemble c’est encore de leur envoyer la peste » faisait dire Camus à son narrateur dans La peste.
Ce soir, je ferme mes volets et je suis surprise par quelque chose d’indéfinissable au départ et qui monte peu à peu de la rue: le SILENCE.
Non pas le bienheureux silence des moments savourés où on peut se passer de la parole des autres, de musique, où l’harmonie entre ce qui se vit là autour de soi et ce qu’on ressent est si complète qu’elle exige l’absence de bruits aussi discrets soit-il, non, ici c’est un silence lourd et oppressant… un silence de mort.
Il me revient alors cette phrase de Camus qui sert d’introduction à ce billet.
Ce silence que j’entends là, c’est celui de la vie qui se passe à l’intérieur et non plus dans la rue. Le silence des volets clos et des fenêtres fermées. Du repli sur soi, sa famille, ses proches.
Un silence ponctué de lumières qui filtrent entre les volets et laissent percevoir la vie. Je pense aussi aux » Fenêtres » de Baudelaire. A cette vie qui se devine faute de se voir pleinement et qui dit plus que la vie elle-même dans son mouvement.
Nous sommes ensemble à l’intérieur. Seuls ou pas, occupés ou attentistes, préoccupés ou insouciants, angoissés ou paisibles. Nous sommes seuls mais ensemble car dans une situation identique.
Ce qui est le plus souvent un lieu de transit entre le travail et les occupations courantes, ce qu’on appelle » lieu d’habitation » devient un refuge protecteur.
A l’abri des autres et du danger potentiel qu’ils représentent, nous reconstruisons un espace, le temps de la parenthèse du confinement, qui ressemble au nid douillé qu’était pour nous la maison familiale quand, enfants, nous allions nous y réfugier, quand, adolescents nous y trouvions une relative paix loin des parents, quand les aléas de la vie, adultes, nous ramenaient dans la maison de toujours, celle où chaque chose, imperturbablement à la même place, nous rassurait.
Se lover alors dans un fauteuil, ramener ses pieds sous ses fesses, se laisser aller à nos pensées, se laisser prendre par le lieu, c’était autant de réconfort entre les turbulences de la vie.
Aujourd’hui nous retrouvons notre » chez nous « , contraints de le faire par un évènement extérieur, et ce » chez nous » nous est, en quelque sorte, commun. Chacun chez soi, tous dans son espace, réunis et séparés, ensemble dans la même situation, s’accommodant pourtant diversement d’elle.
Les téléphones sonnent et assurent le lien entre les lieux, les messages se succèdent inquiets ou rassurants. On se sent à l’abri, protégés par la contrainte imposée.
Il durera, ce temps là de la parenthèse, le temps qu’il faut. Nous en prenons notre parti puisque cela est nécessaire, puisque tous nous en sommes là à nous cloitrer. Je pense aussi aux Recluses, ces femmes qui faisaient le choix au Moyen Âge de se soustraire de la société pour s’isoler dans les bois, dans des cabanes de fortune et passer là le reste de leurs jours, nourries par les habitants sans qu’aucun ne puisse réellement les approcher.
Reclus nous le sommes dans un espace que nous avons voulu à notre image et que nous découvrons peut être de nouveau dans ces détails,que nous nous réapproprions le temps que la paix à l’extérieur revienne.
» Nous sommes en guerre » disait notre président dans son allocution, en guerre devant un ennemi invisible qui s’introduit en nous. Ce n’est plus la baïonnette, l’ennemi est moderne, évanescent, sauf pour les microscopes, nous ne le voyons pas arriver que déjà il est là.
Et dans cette sorte de » peste » qui s’étend sur la planète nous construisons chacun dans nos abris, tant bien que mal, tant nous sommes habituellement actifs, un oasis de tranquillité voire d’ennui dont nous nous souviendrons plus tard.
Il s’en passera des cogitations, des remue-méninges, il en naitra des doutes, il en surgira des chagrins, il en émergera aussi, à n’en pas douter, des bonheurs simples.
Face à nous-mêmes, sans possibilité de consommer à tout va, nous revenons à l’essentiel et cet essentiel peut être, pour peu que nous y prêtions tout l’intérêt qu’il mérite, une jolie manière de se recentrer.
Dominique Mallié
( Illustration : Intérieur avec une femme jouant de l’épinette, d’Emmanuel de Witte )
Et pour commander mon livre Voyage en Ménopausamie, chroniques de la cinquantaine débridée, c’est par là : Mallie.dominique@orange.fr ou dans la partie » message personnel » du blog qui vous est dédiée. Merci !


36 commentaires
annelaure
Quel beau texte ! Merci Dominique
Dominique
🙂
Aurélia Wlk
Mais quel beau texte 😍😍. Racontes moi ta maison , je te dirai qui tu es … Oui … Le refuge , la bulle … Moi je peux être à l autre bout de la planète , elle me manque .. Son parfum d encens , son silence bruyant de vieux meubles qui craquent , mes chats pitres qui dorment dans la bibliothèque , mon lévrier afghan qui se prend pour Marie Antoinette sur la bergère louis XVI … Et une invitée précieuse chaque soir à la fenêtre de ma chambre : dame Lune ….. Comme Alice , je m y émerveille encore dans ma maison … Et par les temps qui courent dehors , j avoue m y émerveiller encore plus …. Dehors j ai vu la bataille de l Aldi , des plus résistants ont campé face au Leclerc .. Auchan , plus de pâtes mais on le savait déjà …Cela étant , à ce jeu de mauvais maux , nous avons ma fille et moi préféré un remake des faux fuyants de Sagan en jouant une carte FERME : œufs , lait et légumes frais …Elle nous a fait délirer la fermiere , pour un peu on se serait cru dans un roman de Marie Paule Armand et Romane s est même amourachée d une petite poule qu elle a baptisé Sagan ( à cause de sa petite crête en forme de frange blonde ) ….. Allez … Restons cons finement tout de même 😉….. Au plaisir de vous lire ma dame 🌹🌹
Dominique
Aurélia ….. j’aimerais être confinée avec vous 🙂
Isalès
Un bien joli texte! Cependant quand j’observe chez nous certaines attitudes dans les superettes, je pense qu’il faudra sans doute plus de 2 semaines à la maison pour espérer un véritable recentrage du plus grand nombre sur l’essentiel!! Bisous et merci pour tes partages!!
Dominique
Oui c’est clair, moi même d’ailleurs hier j’ai failli me battre avec une dame qui resquillait dans la queue 🙂 bisous !
Lionel
Beau texte qui redonne un peu de baume au coeur !
Dominique
Merci ! 🙂
Anne
Quelle jolie plume, oui régalez nous de vos écrits pendant cette période où nous sommes à la maison ! Merci Dominique
Dominique
Oui bien sûr je vais m’y employer … merci Anne
Martin
Beau texte en effet mais ramené au quotidien de la rue et des magasins, on se rend compte que c’est surtout l’ère du chacun pour soi . Ce moment de quiétude que vous évoquez est en marge de cette folie qui s’est emparée de chacun. Il n’y a qu’à voir tous les parisiens qui en dépit des consignes concernant les transports en commun se sont rués à la campagne pour s’y confiner et fuir les autres …. mais cela n’enlève rien à votre écrit !
Dominique
C’est si juste que l’humain est égocentré, mais bon, soyons un tant soit peu bienveillants même si c’est difficile, merci !
Sapiens
Quand le verre à moitié vide se remplit pour devenir à moitié plein, quand on cherche les joies là où on nous propose des peines, la sagesse n’est pas loin. Ne cédons pas à la résignation mais profitons du moment pour explorer avec style comme vous le faites, des voies jusqu’à présent secondaires. Cheminons, cheminons.. Bien à vous chère blogueuse.
Dominique
Oui je vais mettre à profit ce temps pour finir mon second livre MAIS il faut aussi assurer la continuité scolaire pour mes élèves, enfin une forme ….
Suzanne
Pfft !!!! c’est beau, j’adore la fin avec ces futurs … merci !
Dominique
🙂 Merci à vous de commenter !
Antoine Lauris
On aime vous lire, j’aime vous lire …
Dominique
Merci 🙂
Sophie
J’adore ce texte Dominique. je profite de cette pause, semi pause dans le travail pour relire et lire certains de vos articles. Notamment les nouvelles …. bonne journée à vous !
Dominique
Bonne journée également Sophie ! merci de vos interventions si régulières sur ce blog !
ThomasV
Vous avez la manière et l’art de transformer ce qui pourrait être pénible en moment agréable, la boue en l’or, une belle personne qui écrit fort bien … voilà ce que j’avais envie de vous dire
Dominique
Merci, il est bon de changer son prisme en effet, sa manière de voir et d’accepter, vivre au mieux cette transition
Juliette
Tout un paradoxe : ensemble et chacun chez soi. Beau texte poétique et réaliste à la fois. Toujours un grand plaisir de vous lire. Bonne journée Dominique. La réédition de votre livre est proche non ?
Dominique
Oui ils sont prêts mais là je ne peux pas me déplacer pour les chercher . Bonne journée également juliette et merci !
Valérie
Et finalement l’occasion de vous découvrir. On peut donc rester enfermés et s’ouvrir. Dans cette période un peu curieuse à vivre votre écrit est plein de sagesse qui fait du bien ….
Dominique
Ravie de votre petit mot, merci Valérie !
Bruno
Vous voyez juste Dominique, comme souvent dans vos écrits, il nous faut transformer cette contrainte pour la rendre supportable en profitant de cette période pour se recentrer sur soi et nos proches. Merci pour ce beau texte ! Bonne nuit !
Rolland
C’est vrai que beaucoup ont comparé cette période avec le roman de Camus. L’angoisse diffuse que vous soulignez sans doute car rien de comparable. Beau texte Madame ❤️
Dominique
Oui le début du roman peut être … quand le narrateur décrit la ville et qu’on sent poindre quelque chose au travers de détails qui s’accumulent et puis non ensuite. La peste est surtout une histoire de personnages, ce qui n’est pas le cas ici. Merci Rolland
Dominique
Oui, se faire une raison tout simplement !
Eleonore
Beau texte, si juste, où vous parvenez à transformer ce qui est une contrainte, certes nécessaire, en un moment de retrouvaille de soi. Merci de nous faire du bien Dominique …. c’est poétique et si intelligent
Dominique
Merci Eleonore, bonne journée !
Antoine
Merci de nous apporter de la douceur et de l’harmonie dans cette période si peu facile … beau texte et si juste ! Antoine
Dominique
Merci Antoine , bonne journée !
Virginie
Beau beau ! Si bien écrit et si doux à lire ! Merci !
Dominique
Merci Virginie !