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Nous n’attendrons pas l’automne (3)

Jean-Michel venait de finir ses consultations.

La journée avait été longue. La Covid semblait s’éloigner en ce début du mois d’août mais elle laissait derrière elle une angoisse collective qui avait pour conséquence qu’à la moindre toux, au moindre mal de gorge les patients affluaient. Rassurer, dédramatiser, explorer plus avant, le docteur Savin savait faire. Cela faisait bientôt quarante ans qu’il côtoyait de près la misère humaine, la peur de la mort et que la maladie était son quotidien. Il en avait pris le recul qui va bien d’autant que sa préoccupation en ce 4 août était ailleurs…


Suzanne n’avait pas appelé de la journée. L’amour qu’il ressentait pour elle n’avait fait que grandir depuis la disparition de Serge. D’amants ils étaient devenus un couple, certes toujours dans la clandestinité, mais sans qu’il n’y ait désormais d’obstacle tangible entre eux.


La mort de Serge ne l’avait pas pour autant réjoui. On peut pleurer un ami et aimer la femme de cet ami, rien ne lui avait semblé incompatible, au contraire il avait vu dans ce triste évènement, le réconfort supplémentaire qu’il pouvait représenter pour Suzanne. La culpabilité ne faisait pas partie de son monde. Peut-on se sentir coupable d’une attirance qui nait en dehors de soi?
Il était devenu son protecteur. C’est lui qui l’avait poussée à reprendre la peinture, à s’inscrire au golf. Il aimait la voir tirer son caddy sur les greens, casquette sur la tête, toute vêtue de blanc, frêle et si séduisante.
Près d’elle il avait toujours vingt ans et avait fini par se persuader qu’on peut sa vie durant rester figé sur un âge, celui qu’on a dans la tête et peu importe finalement les années.


Leur vie sexuelle était celle de jeunes gens, l’insouciance en plus. Suzanne avait un corps de jeune fille et lui, à son contact, ressentait les mêmes émois et la même excitation qu’il avait pu ressentir avec Simone, sa première femme ou même Marie-Christine, la seconde qui était devenue une amie, du genre maternel, avec des seins si gros qu’il lui arrivait encore d’y fourrer son nez pour trouver du réconfort, quand il désespérait que Suzanne accepte un jour de vivre près de lui.


L’amour dure trois ans écrit Beigbeder, le deuil devrait durer moins. Or cela faisait trois ans que Suzanne retardait le moment de le présenter à la famille, qu’il connaissait pourtant pour avoir çà et là vu en consultation Anna et Claire, puis les enfants de Claire à l’occasion des vacances, mais toujours en tant que médecin, toujours en tant que ce  » bon vieux Docteur Savin  » . Il avait à présent un besoin de reconnaissance autre. Que Suzanne le présente enfin comme son nouvel amour, le dernier sur sa route peut être, l’homme du reste de sa vie.
Besoin de sortir de cette sorte de caverne platonicienne et que, irradié de lumière, il trouve sa place à la table familiale, près de la femme qu’il aimait par dessus tout. Il en devenait lyrique. Ses nuits étaient traversées d’éclairs de feu, d’incendies irrépressibles. Il se réveillait le coeur battant la chamade dans un lit qui sentait le citron et dont il n’osait changer les draps.
Comme il finissait enfin de ranger son bureau et s’apprêtait à fermer la porte du cabinet pour le week-end, son téléphone se mit à vibrer dans sa poche : Suzanne l’attendait le dimanche suivant pour déjeuner et toute une série de petits coeurs rouges venaient ponctuer son texto.
Parfois le bonheur c’est très con se dit-il en comptant le nombre de coeurs.

(A suivre)

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