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Nous n’attendrons pas l’automne (4)

Est-ce que nos rêves ont des limites ? Se demande Pierre en regardant en dessous de lui, le Luberon qui s’étale aux pieds du Ventoux. Trop de questions se sont bousculées dans sa tête hier soir, après le diner, mais avant déjà quand Olivier est arrivé et qu’il a senti se réveiller en lui ce qu’il sait depuis longtemps.


Ce matin il est parti très tôt, l’aube n’était pas encore levée. Il a laissé Claire à peine couverte d’un drap, il fait si chaud, après une nuit d’insomnie.
La rocaille grise recouvre le haut du géant de la Provence et plus loin les arbousiers qui résistent à tout : au vent et au froid l’hiver, à la chaleur l’été torride, au temps qui passe.


Comment continuer à mentir, faire semblant alors que tout en lui dit l’attirance pour les hommes, depuis toujours ? Depuis l’école et les amitiés fortes, les jeux où il tenait entre ses bras ses copains de bagarre qui, pour lui, étaient des étreintes. Ses amitiés adolescentes si entières et proches de l’amour. Tous ces prénoms de garçons qui dansent dans sa tête, tout ce qu’il n’a jamais réussi à franchir, à montrer, à dire. Ses rêves de baisers, d’amours avec Louis, Stéphane son galeriste dont il s’est séparé, ses démissions incomprises de Claire, ses absences soudaines devant un film, son refus de la moquerie de l’homosexualité de l’un ou de l’autre, son impossibilité à satisfaire Claire qu’il aime comme une soeur, une amie, une tendre amie, la mère de ses enfants.


Ses fuites en avant, toutes les lettres qu ‘il a écrites et jetées, les messages effacés, les mails qui finissent dans la corbeille. Son métier de peintre qui lui permet de laisser exploser sur la toile ce qu’il contient. Le  » rien  » de ses toiles, évidées dans leur partie droite, ce  » rien  » qui est quelque chose : là où il laisse, dépose, ce qu’il retient. Sa marque de fabrique : on reconnait les toiles de Pierre Delarue à cette moitié peinte de couleurs violentes et qui s’opposent et à l’autre, vide. De lui, de son travail, tout partout dit les deux parts de lui : celle qu’il affiche, celle qu’il tait, obstinément.


Olivier et son regard fuyant, son malaise à table hier pendant le déjeuner, son départ brusque pour la chambre d’ Anna, tout l’a bouleversé. Se peut-il qu’Olivier ait ressenti, lui aussi, cette attirance folle ? Ne l’a-t’il pas regardé çà et là ?
Le Mistral s’est levé en haut du Ventoux.


Pierre remonte son col et ferme sa veste.

(A suivre)

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