
Nous n’attendrons pas l’automne
Je publie en plusieurs chapitres une nouvelle qui, je l’espère, vous plaira… Bonne lecture !
Anna avait annoncé son arrivée la veille seulement. Elle viendrait avec son nouvel ami dont elle nous faisait la surprise, c’est ce qu’elle avait dit. Elle arriverait par le train de 10 heures 40 et oui, ne t’inquiète pas, je mettrai un masque et même une visière si il le faut.
Les amis d’Anna…
Nous en avions vu passer une bonne dizaine ces dernières années. Tous avaient en commun de… n’avoir aucun point commun. Ma soeur n’avait pas de genre, c’est ce que j’avais fini par me dire. Elle s’était en quelque sorte spécialisée pourtant dans le corps médical et recrutait ses conquêtes sur le Net. Il lui suffisait qu’ils soient médecins et répondent par là quelque part à son hypocondrie, dont elle ne faisait pas mystère.
Sa vie n’était qu’une succession de bobos , ce qui, avec le temps, nous avait fait dire que le jour où elle aurait une vraie maladie, personne ne la prendrait au sérieux.
Ils étaient ainsi arrivés jusqu’à nous, ces amoureux, dans la maison de famille de Maubec qui désormais était occupée seulement par maman, papa étant décédé trois ans plus tôt, et que nous retrouvions tous les étés, au mois d’août.
Ils restaient là une semaine tout au plus, et finissaient par se retrouver sur le quai de la gare TGV d’Avignon, proprement éconduits après qu’Anna ait décidé que finalement, non, ça n’allait pas être possible.
Nous nous étions habitués à ces fugacités et avions même renoncé à en faire un problème. Anna était chez elle, à Maubec, tout comme nous tous : Pierre, les enfants, et maman qui s’amusait à dire que » le futur mari d’Anna n’était pas encore de ce monde « .
3 août
La gare TGV d’Avignon est à environ une demi-heure de Maubec. Il fait beau, il fait presque toujours beau dans cette Provence que j’aime. J’ai mis ce matin une robe fleurie, une de celles qui année après année, restent là dans le placard de ce qui est devenue notre chambre depuis que nous nous sommes mariés, Pierre et moi.
Les cheveux ont obstinément refusé de se laisser emprisonner dans le chignon que j’ai adopté par ce temps de canicule et s’échappent en mèches presque blondes.
Les enfants dorment encore. Pierre jardine, j’entends à rythme régulier le bruit de la fourche qui s’enfonce dans le sol. Il a eu ce matin l’idée de déterrer tous les plans de pomme de terre que M.Grillet, le facteur à la retraite à qui maman demande parfois de venir faire le jardin, avait plantés.
» Dès cet automne , vous verrez,vous apprécierez ! «
Maman s’est laissé convaincre assez facilement. Je crois qu’au fond d’elle, toutes ces histoires de jardinage, de légumes à ramasser, de confitures à faire, tout ce à quoi elle s’est si longtemps contrainte du temps de papa, lui passe désormais bien au-dessus de la tête. Surtout depuis qu’elle s’est remise à la peinture et que le cabanon du jardin est devenu son atelier, dans lequel personne n’a le droit d’entrer dont elle ressort vers 17 heures, les joues rosies et le tablier tâché de vastes auréoles colorées.
La disparition de Papa semble quelque part avoir rendu ma mère à sa vie de jeune fille, ou sa vie tout court. C ‘est ce que je ressens quand je la vois. Même le confinement qu’elle a traversé seule, dans cette maison, ne l’a pas affectée. Il y a peut être un moment dans la vie où plus grand chose ne compte, où la jouissance des plaisirs simples prévaut. Ses filles, son gendre, ses petits enfants semblent suffire à faire d’elle cette femme apaisée et sereine qu’elle donne à voir chaque été que nous passons depuis toujours ici à » La chapelle » . Le reste, sa vie par ailleurs, tout le temps où désormais elle est seule dans cette maison, se partage entre des visites chez ses amies du village, quelques courses à Avignon, et le golf auquel elle s’est mise depuis six mois sur les conseils du Docteur Savin, notre médecin de famille. Le docteur Savin qui nous a vu grandir Anna et moi, a assisté Papa dans ses derniers moments et suit Maman lorsqu’elle daigne vouloir s’occuper de sa santé.
Elle est là, d’ailleurs, sur le pas de la porte, attendant que sa fille ainée finisse de mettre ses sandales et je devine dans ce regard que pourtant je ne vois pas, occupée à fermer la boucle qui se dérobe sous mes doigts, toute la tendresse qu’elle a toujours eue pour nous ses filles si différentes et » pourtant je vous ai donné la même éducation « , se plait-elle à répéter.
« Tu penseras à acheter du pain en rentrant ? Tu m’entends Claire ? – Oui maman, ne t’inquiète pas »
Je glisse sur sa joue un baiser et m’étonne encore de cette peau toujours si douce, de cette odeur légèrement citronnée du parfum qu’elle adopte tous les étés. Parfois je me dis que rien ne change chez elle, ou si peu et je l’admire pour cela.
« Comme c’est bon de s’embrasser de nouveau ! » dit-elle en souriant.
J’aurais aimé hériter d’elle cette douceur mais hélas, je tiens plus de papa : une sorte d’agitation perpétuelle et l’impression de ne profiter de rien. La quarantaine n’a rien changé à l’affaire et je continue de brasser du vent avec peut être la conscience de le faire en plus, ce qui en soi est déjà un progrès.
Aussi lorsqu’il avait fallu décider, hier soir, qui s’y collait pour aller chercher Anna et son nouveau chéri, (dont elle n’avait d’ailleurs pas dit le prénom, ce qui était assez inhabituel, ses précédents amoureux avaient toujours été précédés de leur prénom et avaient commencé ainsi à exister pour nous, au travers de sonorités, d’une sorte d’univers auquel le prénom renvoyait ), ce fut tout naturellement vers moi que les visages se tournèrent. Enfin, les deux visages car mes fils ne se sentant pas concernés par l’affaire, avaient décidé subitement de piquer une tête dans la piscine.
Se lever tôt ne me dérange pas. J’aime même assez boire mon café seule dans la cuisine à peine débarrassée de la veille, dans ces vieux bols immenses dont maman a hérité de sa propre mère et sur lesquels sont écrits, en lettres rouges, les jours de la semaine. Le café, réchauffé de la veille a le goût du réglisse. Mon téléphone émet un bip, Anna se rappelle à moi : Le train est à l’heure et s’inquiète de qui vient les chercher. » Moi » et j’ajoute un smiley radieux.
Je baille les yeux dans le vague. J’ai, malgré tout, perdu l’habitude depuis le confinement de me lever tôt et surtout de me bousculer. A l’étage on remue. Dans le jardin Pierre s’acharne sur les dernières mottes.
La route jusqu’à Avignon est quasi-déserte. Cette crise sanitaire aura eu pour conséquence de faire fuir les touristes étrangers et même les français qui, dans leur grande majorité, ont préféré rester chez eux. Je mets mon masque pour entrer dans la gare, pile à l’heure.
Je n’ai rien pensé d’Olivier la première fois que je l’ai vu. Rien de spécial. Il m’a paru plus âgé qu’Anna mais c’était peut être là une simple impression.
Dans la voiture, Anna est volubile et gaie. Olivier ne dit rien, assis à l’arrière, pour nous laisser nous retrouver . C’est lui qui a proposé. Je le regarde dans le rétroviseur, il observe la route qui défile, ne semble pas entendre nos bavardages, étrangement distant. Et beau. Vraiment beau. Je pense que ça fait longtemps que je n’ai pas été émue par un visage, une façon de se tenir, des cernes un peu accentuées, une sorte de lassitude qui transparait.
« Et vous, Olivier, vous faites quoi, dans la vie ? » J’interroge le visage que je vois dans le rétroviseur.
Il me regarde par là aussi. « Rien de très intéressant »…
Et puis il se tait et retourne au défilé du paysage.
(A suivre)


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