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Parce que tout passe …

Cela faisait plusieurs mois que Paul avait quitté Hortense. Deux années d’un bonheur presque parfait avaient été gommées en une phrase : « J’ai rencontré quelqu’un d’autre, je suis amoureux, je te quitte ». Trois propositions pour une fin de non recevoir. Hortense s’était tenue à la commode de l’entrée, tout avait vacillé autour d’elle tandis que dans la pièce à côté les couples dansaient, riaient, parlaient. Il était parti sans se retourner, un peu théâtral tout de même avait-elle pensé  tandis que le miroir lui renvoyait un visage de cinquantenaire dévasté .

Il avait fallu affronter ensuite les autres, tous les autres de la soirée, affronter leur  bienveillance feinte parfois, leur pseudo empathie. Hortense avait bu ce soir là, beaucoup,  fumé aussi et puis elle était rentrée. Plutôt on l’avait raccompagnée. Qui ? Elle n’en avait aucun souvenir.

Les jours d’après elle s’était évertuée à remonter la pente, s’était noyée  dans les activités, le travail, jusqu’à en être épuisée de fatigue . Les semaines étaient passées. Elle avait peu à peu appris à vivre sans Paul, sans ses appels, sa présence même dans cette distance géographique  qu’ils avaient choisie : ne pas vivre sous le même toit  leur semblait alors comme une manière d’entretenir la flamme de leurs retrouvailles hebdomadaires. Les week-end, ils les passaient ensemble dans des passions communes : les expos, ciné, restaurant. Rien d’extraordinaire mais des rendez-vous qui chaque fois les confortaient dans cette idée que l’histoire se construisait.

Elle s’était reprise en main, s’était trouvée résiliente au final. Une forme de paix avait pris la place de l’angoisse de l’abandon. Pas une seconde elle n’avait cherché qui pouvait l’avoir remplacée dans le coeur de cet homme qu’elle avait tant aimé. Cette curiosité là aurait ajouté à sa peine, l’entrainant dans une déréliction à laquelle tout son être voulait résister. 

Quelques hommes avaient croisé son chemin, rencontrés par l’intermédiaire d’un site sur lequel elle s’était inscrite. Leurs regards sur elle l’avaient confortée dans cette idée qu’elle pouvait encore séduire. Elle avait fait  l’amour de nouveau, comme une manière de se réconcilier avec son corps, de sentir un homme contre elle, s’en était sentie apaisée.

Après son travail elle avait pris l’habitude de trainer dans Paris et elle qui, habituellement était si peu dépensière, s’était offert plusieurs petites robes qui lui donnaient une allure plus féminine que ses traditionnels tailleurs pantalons. Un collègue de bureau lui avait même fait la remarque : elle était très séduisante ces temps ci, l’amour lui réussissait. Elle avait souri de ce sourire que Paul aimait tant, dont il ne semblait pouvoir se passer du temps où il l’aimait.

Leurs amis communs continuaient à l’inviter. Aucune allusion n’était faite à son histoire avec Paul. Elle était devenue une femme seule, comme un état définitif,  on ne l’interrogeait pas sur sa vie sentimentale.

Le printemps était arrivé après un interminable hiver, les soirées commençaient à s’allonger, encourageant les dîners en terrasse, les repas festifs.

Aussi ne fut-elle pas surprise lorsqu’un soir Isabelle l’appela pour l’inviter le samedi qui suivait à une soirée blanche dans leur magnifique maison d’Arles. Une manière de fêter l’arrivée de l’été.

_ « Je pense inviter Paul et son amie, Sophia, il y a prescription depuis le temps. Qu’en penses-tu ? Si cela te gêne, il va de soi, que je ne le ferai pas. Tu sais Hortense que nous tenons surtout à ta présence, Henri et moi. Dis moi ce que tu en penses …. »

Hortense se tut quelques secondes et elle s’entendit dire que, en effet, cela ne lui semblait pas poser problème et puis elle raccrocha prétextant un appel simultané sur son téléphone fixe.

Paul et Sophia. Bien sûr qu’elle voyait très bien qui était Sophia. Une magnifique brune d’origine italienne qu’ils avaient croisée à plusieurs reprises dans des vernissages. Elle tenait une galerie rue du Bac dans le 6 ème. C’était donc elle, ce grand amour que Paul avait rencontré. Hortense se sentit tout à la fois soulagée de mettre un nom et un visage sur celle qui lui avait volé Paul et immensément triste de cette réalité que prenait ce couple tant l’image de Paul près de Sophia devenait palpable, visible, une évidence.
Aussi brune qu’elle était blonde, aussi extravertie qu’elle pouvait être discrète voire timide. Sophia était l’archétype de la femme que tout homme rêve d’avoir dans sa vie. Elégante, mince et bronzée d’un bout à l’autre de l’année, elle était également cultivée et savait animer les soirées comme personne. Chaque vernissage dans sa galerie avait été une fête et pour elle l’occasion de briller. Elle en était même venue parfois à occulter la présence de l’artiste dont on inaugurait l’exposition ; cela avait été pour Paul et Hortense un motif de plaisanterie.  Comment ne s’était-elle pas rendu compte que Paul était attirée par cette femme ?  Comment avait-elle pu être aveugle à ce point ? Aucun homme ne pouvait résister à Sophia, évidemment.

Les jours qui suivirent s’éternisaient.

La gare de Lyon, le train pour Arles.

Le samedi dans sa chambre du NORD PINUS, Hortense se maquilla soigneusement, tira ses cheveux dans un chignon qui dégageait sa nuque, enfila une robe Tara Jarmon qu’elle choisit pour sa sobriété. Une paire d’escarpins beiges.

Lorsque, le coeur battant fort, elle sonna chez Isabelle, la fête était commencée depuis quelques heures. Elle embrassa les amis qui venaient vers elle, la félicitaient pour son élégance. Paul discutait près du buffet avec un homme qu’elle ne connaissait pas. Il lui fit un petit signe de la tête auquel elle répondit de la même façon. La musique des années 60 emplissait le salon . Quelques invités étaient sur la terrasse. Elle s’approcha prise d’un besoin de respirer mieux, plus fort. Sophia était là, riait aux éclats  et monopolisait l’attention de tout un groupe d’hommes autour d’elle. Elle était terriblement séduisante. Un large décolleté laissait voir tout son dos, sa peau scintillait de paillettes . Nux, pensa Hortense.

Vincent,  rencontré quelques fois dans la galerie de Sophia vint discuter avec Hortense.  Encore bel homme malgré ses soixante ans, il sembla à Hortense plus affable qu’il ne l’avait été jusque là avec elle, sans doute mesurait-il la difficulté dans laquelle elle se trouvait, ou l’imaginait-il et cherchait-il par là à l’amener vers une sorte de réconfort dans une séduction qu’il voulait authentique. Ils discutèrent quelque minutes ensemble autant que la musique leur permettait de s’entendre.

Hortense avait décidé de rentrer tôt. Son départ ne devait pas avoir l’air d’une fuite aussi fit-elle en sorte de s’éclipser discrètement du salon où se trouvait la majorité des invités. Un détour par le petit salon plus intime allait lui servir de sas en quelque sorte pour partir sans être vue.

Comme elle s’approchait de la pièce,  une sorte d’alcôve plus qu’un salon, elle entendit distinctement deux voix qu’elle reconnut comme étant celles de Paul et Sophia…

– « J’ai rencontré quelqu’un d’autre, je suis amoureuse, je te quitte ». C’était Sophia qui parlait. Le ton était dur et sans appel.

Hortense s’effaça dans l’encoignure de la porte. Sophia sortit et Hortense vit alors Paul, le pauvre Paul, le regard perdu, prostré dans un fauteuil Louis XV.

La nuit était douce dans le Sud, elle marcha longtemps, un sentiment de liberté en elle grandissait.

L’étourdissait.

DOMINIQUE MALLIÉ

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