
Qui est à « L’Origine du Monde ?
L’origine du monde… un tableau qui aura fait beaucoup parler de lui, conservé au musée d’Orsay et dont l’identité du modèle resterait une énigme si deux hypothèses que je vous livre n’avaient avec le temps émergé, apportant chacune un visage à ce sexe en gros plan qui valut à l’époque à Courbet d’être taxé de « peintre pornographe ».
Quel visage pour ce sexe de femme,si joliment appelé » L’origine du monde » ?
Johanna Hifferna, rousse capiteuse, maitresse de Courbet qu’un petit portrait montre la tête renversée, bouche entrouverte ET qui pourrait être l’autre pièce d’un tableau coupé ? ou bien Constance Quéniaux, danseuse et prostituée ?
Quelle hypothèse retenir ?
Autrement dit : L’Origine du monde est elle une toile découpée ou bien une représentation achevée?
Acquise en 2010 chez un antiquaire parisien pour la somme de 1400 euros, la petite toile représentant le visage de Johanna Hifferna est, selon son propriétaire, LE visage de L’Origine du monde, qui aurait été découpée: «Même échelle, même angle de fuite, même carnation, même teinte de capillarité et pilosité…»
Le musée d’Orsay refuse de faire expertiser l’oeuvre et soutient que le tableau est bien une composition achevée et en aucun cas le fragment d’une oeuvre plus grande. Et pourtant … plusieurs experts ont affirmé le contraire ces dernières années avant de changer d’avis et de soutenir le contraire.
Ainsi Philippe Rouillac, médiatique commissaire-priseur français, assurait qu’ayant assisté à l’installation de l’œuvre au Musée d’Orsay, en 1995, il avait pu constater que «La toile se prolongeait sur le bord et recouvrait le châssis derrière et d’ajouter à propos du visage de Johanna : «Il y a le même coup de pinceau (que dans L’Origine du monde), la même souplesse. C’est techniquement assez troublant.»
Le fait que la toile revienne sur l’arrière du châssis peut en effet signifier qu’elle a été coupée.
Mais voilà quelques années plus tard, le même commissaire-priseur démentira avoir tenu ses propos.
Alors : foutaises, affabulations, hallucinations ou révélations ?
Si on suit cette analyse, la toile aurait donc été découpée par Courbet et vendue ensuite, et là il y a consensus, à un riche diplomate turc d’origine égyptienne, Khalil-Bey, célèbre dans Tout-Paris pour sa collection de peintures érotiques qu’il expose dans son hôtel particulier du boulevard des Italiens.
Parmi les oeuvres qu’il possède, Le Bain turc d’Ingres mais aussi Le Sommeil du même Gustave Courbet. Ce dernier tableau représente deux femmes nues qui se reposent dans un même lit. Cette oeuvre, réalisée en 1866, déclenche déjà un formidable scandale.
Et nous arrivons ainsi à la deuxième hypothèse, la plus vraisemblable.
Cette hypothèse, on la doit à Claude Schopp, biographe d’Alexandre Dumas qui découvre par hasard, en travaillant sur la correspondance entre Alexandre Dumas fils et George Sand, ces mots à propos du tableau qui fait scandale :
« On ne peint pas de son pinceau le plus délicat et le plus sonore l’interview de Mlle Quéniaux de l’Opéra, pour le Turc qui s’y hébergeait de tems en tems, le tout de grandeur naturelle […] »
Alexandre Dumas fils est particulièrement remonté contre Courbet qui avait pactisé avec la Commune, il lâche donc, ce qui est un secret connu de tous, dans cette lettre à Georges Sand.
Claude Shopp est alors surpris par l’usage du mot » Interview« , anglicisme qui n’était pas encore utilisé à cette époque et d’autre part qui nuit au sens global de la phrase. Il se rend donc à la BNF consulter l’original de la lettre et là, le mot, comme il s’y attendait qui est utilisé par Dumas est « intérieur » ….
» L’interieur de Melle Quéniaux dans lequel le turc s’hébergeait de temps en temps « . C’est dit de façon imagée, mais assez claire pour que Claude Shopp ait alors l’intuition de tenir l’identité du modèle de l’Origine du Monde : Constance Quéniaux.
Il paraît incroyable que l’on découvre l’identité de cette femme par une correspondance de Dumas fils et pas par Courbet, pas par d’autres personnes qui gravitaient dans ce milieu , mais il faut dire que Dumas et Khalil-Bey se connaissaient, mus par leur même passion pour l’art. Certains tableaux sont même passés de l’un chez l’autre.
Dumas avait donc vu le tableau chez Khalil-Bey, tableau toujours soustrait aux regards, caché là sous un voile vert comme il le sera, plus tard, chez Lacan par un dessin d’André Masson.
Bref.
Dumas fils, lâche sous le coup de la colère, un secret qui au fond, à l’époque, n’en était pas un.
Mais qui est Constance Quéniaux ?
La jeune femme semble être un brillant exemple de la réussite sociale au XIXe siècle. D’origine modeste, et n’obtenant que des seconds rôles, l’Opéra lui permet d’entrer dans le demi-monde et de s’enrichir par les hommes. C’est dans ces relations demi-mondaines qu’elle rencontre Khalil-Bey et devient une de ses maitresses. La presse d’époque raconte même qu’elle était son porte-bonheur aux jeux de cartes. À la fin de sa vie, Constance Quéniaux met sa richesse au service des malheureux et des orphelins. Son inventaire après décès suggère un train de vie aristocratique, dans sa villa à Cabourg.
Une vie en trois actes, donc.
Elle meurt à Paris le 7 avril 1908. Elle possédait un tableau de Courbet, daté de 1863, représentant un bouquet de fleurs dont des camélias, fleurs associées aux courtisanes, depuis la publication du livre d’Alexandre Dumas fils : La Dame aux Camélias.
Mais il y a autre chose qui en effet rend plus vraisemblable cette seconde hypothèse du modèle.
Ce tableau de Courbet, sobrement intitulé » Fleurs » qu’on découvre au moment de la vente des biens à l’Hotel Drouot de celle qui est devenue philanthrope possède en son centre, au milieu d’iris, tulipes et primevères, une bien étrange fleur avec une profonde corolle rouge épanouie et ouverte tel un sexe de femme offert au regard des spectateurs.
Etait-ce un cadeau de l’artiste… et un clin d’oeil, un ultime hommage du peintre ?
Quoi qu’il en soit L’origine du monde reste LE tableau universel féminin par excellence.
Tel un talisman, l’oeuvre est assez puissante pour déchainer encore les passions en 2021.

