Un peu de moi

Une femme heureuse qui se déploie

Quand j’étais étudiante, j’ai eu une grande passion pour Rousseau. Après j’en ai eu d’autres, je suis une femme de passions. J’avais une prof spécialiste du XVIIIè siècle et plus particulièrement de Rousseau à propos duquel elle avait soutenu sa thèse de doctorat.
J’avais aussi une passion pour elle, si fine à tous les sens du terme, du fait de cette manière si particulière qu’elle avait de parler de l’auteur, du philosophe. Avec amour, je crois.


Et justement Rousseau, rencontrant Mme de Warens, à qui il a été recommandé comme cela se pratiquait à l’époque pour ces jeunes garçons qui erraient, écrit une lettre d’introduction, préfigurant en quelque sorte par là l’autobiographie dans laquelle il raconte ce moment ( Les Confessions). Mais voilà, il est un peu en panne d’inspiration aussi mêle-t’il à sa prose d’autres auteurs  » cousant (ainsi) des phrases de livres « . Cette scène des Confessions fait partie des plus belles scènes de rencontres amoureuses de la littérature à mon sens.


Pour ce billet j’ai choisi de faire de même.

Comme Rousseau écrivait une  » lettre patchwork », j’écris un  » billet patchwork ». C’est Yasmina Reza et son  » Heureux les heureux  » qui servira de trame à ce texte.


Une amie me dit que ce qu’elle aime chez moi, c’est que je suis en recherche. J’interroge : En recherche de quoi ? Ah ça…

Je trouve que c’est beau, à ton âge, d’être en recherche, c’est rare. Ils ont tellement de certitudes, les autres, tous les autres presque.
Et puis elle se tait pour laisser le silence, le bien aimé silence, emplir l’espace, le rendre visible.
Etre percée à jour ça s’appelle.

Sur le parking, nous ne disons rien. Dans la voiture non plus. Il fait nuit. Les lumières de la route nous endorment et je mets le CD de la chanson portugaise avec la voix de la femme qui répète le même mot à l’infini.


Pourrais tu, je m’apprête à lui dire, mettre sur mon chemin quelqu’un de gai avec qui je pourrais rire et qui aimerait marcher ?


J’ai dit, attends moi mon coeur. Il s’est retourné, les yeux plissés à cause des gouttes, je lui ai trouvé une petite tête et des cheveux amoindris sous la lumière du lampadaire.


Tout continuera comme toujours, tout partira gaiement dans l’eau.


J’ai pris tout ce qu’il m’a donné, sa queue, l’argent, la joie, le chagrin.


C’est inouï quand même, t’en fais jamais trop, t’es l’homme, t’es l’homme qu’il me faut.


J’ai trouvé qu’elle avait absolument raison. J’étais léger de nouveau. Tout rentrait dans l’ordre.


J’ai dit, il y a une recette très connue pour faire tomber les femmes, tout le monde le sait, c’est de ne pas dire un mot. Les types qui plaisent sont silencieux et font la gueule. Moi, je ne me trouve pas assez beau,pas assez intrigant au naturel pour me taire. Je parle trop, je déconne, je veux tout le temps être marrant. Même avec vous, je veux être marrant. Souvent après une série de blagues, je m’assombris parce que je m’en veux. Surtout quand ça tombe à l’eau, je me braque, je deviens sinistre pendant un quart d’heure. Ensuite le joyeux drille prend le dessus.


Et les femmes ? Tu crois qu’il faut aussi qu’elles se taisent ? C’est Montaigne qui disait ça, qu’une femme ne doit parler, trop. Mais bon Montaigne, il a fait ses preuves avec les femmes ?
J’ai senti remonter des sensations confuses. Il y a en moi une région abandonnée qui aspire à la tyrannie . On les connait nos  » régions abandonnées  » ? Comment fait-on pour savoir à quoi elles aspirent ces régions de nous qu’on a perdues de vue ? Qu’on a laissé un jour attacher à un arbre ou à un pilier sur une autoroute, comme un chien. Tiens, je vous abandonne et elles sont mortes de chagrin peut être. Ou de solitude. Ou de faim et de soif sur la route des vacances.


Il m’a dit, tu es toujours aussi petite. Lui était grand comme avant, mais plus épais. Je courais un peu pour être dans ses pas. Mais déjà je savais que je n’arrêterai pas de courir, même essoufflée.


Nous vivons dans l’illusion de la répétition, comme le jour qui se lève et se couche. Nous nous levons et nous couchons croyant répéter le même geste, mais c’est faux.
C’est pour ça que l’ennui est une vue de l’esprit, rien de tangible.

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