Vous avez dit « indomptable » ?
Colette est décédée le 3 août, je suis née un 3 août. Evidemment l’année diffère, toutefois il y a toujours eu, par delà ce pur hasard de dates, entre elle et moi une sorte de connivence, une re-connaissance de ma part, au sens propre, dans ses écrits, tant de similitudes entre la femme qu’elle fut et celle que je suis. J’avais d’ailleurs soutenu mon mémoire de thèse sur cette période où quittant Willy elle se retrouve, car contrainte de gagner sa vie, mime au Music hall
Prolixe mais sans épanchements inutiles, ni pathos, elle a toujours choisi d’aller de l’avant dans sa vie personnelle comme dans son travail, ses amitiés, ses inimitiés, écoutant son coeur plutôt que les commérages des uns et des autres ou les intimations à la raison, solitaire et entourée. Indomptable, affranchie et vagabonde. Nous avons décidément beaucoup en commun !
Ce que je souhaite évoquer ici est une période de sa vie dont on ne trouve pas trace dans ses écrits et qui est donnée à voir et entendre au théâtre BA à Avignon pour deux jours encore.
1914, c’est la mobilisation, Colette est alors mariée au Journaliste Henry de Jouvenel et entretient une liaison avec Missy, en parallèle. Elle est au moment de la mobilisation dans sa ville Bretonne de Rozven avec son mari, sa fille.
« Dans Saint-Malo, où nous courions chercher des nouvelles, un coup de tonnerre entrait en même temps que nous : la Mobilisation Générale » (II, 477).
Colette se hâte de revenir à Paris, laissant en arrière sa fille âgée d’un an avec sa nurse, tandis que Jouvenel a rejoint son régiment d’infanterie territoriale à Verdun.
Il est légèrement blessé en septembre. C’est la saison du « phalanstère » de la rue Cortambert. En octobre, Colette fait des gardes de nuit auprès des blessés au lycée Janson-de-Sailly, transformé en hôpital. L’éloignement de son mari lui pèse, comme à tant de femmes, mais elle n’est pas du genre à se soumettre.
En décembre 1914, malgré les interdictions, elle se rend clandestinement au front, à Verdun, pour retrouver Jouvenel.
Elle publie dans Le Matin divers « Propos d’une parisienne », reportages sur l’arrière, sur les blessés qu’elle côtoie à Janson-de-Sailly, sur la réouverture des cafés-concerts, sur les difficultés de la correspondance entre les femmes qui se croient obligées de parler sérieusement à leurs hommes de la situation militaire, et les hommes au front qui préféreraient recevoir des lettres frivoles. Mais le récit de son expédition à Verdun ne paraîtra pas dans la presse :
Colette, comme tant d’autres, est sensible à l’esthétique de la guerre, au feu d’artifice des bombardements
« Depuis ce matin, écrit-elle de Verdun à son ami Léon Hamel, c’est la plus belle canonnade, l’orage ininterrompu, les vitres qui tintent et la porte qui tremble (20 décembre 1914, LV,112).
Le théâtre BA choisit de mettre en scène dans une version lyrique ces moments de la vie de Colette : Colette L’indomptable.
Mélodrame en phase avec notre histoire contemporaine, par des thèmes aujourd’hui d’actualité – le genre, le féminisme, la guerre – Colette, l’indomptable montre combien l’écrivaine était en avance sur son temps. Lapalissade, peut-être, mais transmise avec un enthousiasme communicatif sur scène. L’énergie déployée est palpable, devant une salle comble conquise.
Les années 1908-1914 évoquées dans Colette, l’indomptable charment par leur sujet, bien écrit, bien interprété, bien chanté, dans le style de l’époque. Elles nourrissent une opérette dont le sujet parle d’aujourd’hui. La pièce est à la fois ambitieuse et légère, portée avec talent par ses interprètes qui emportent toute la salle sur les pas d’une femme révolutionnaire en son temps, restée emblématique d’un féminisme alors balbutiant (mise en scène Gaël Lepingle)