
Zao Wou-Ki, le vertige des signes
L’hôtel de Caumont à Aix en Provence propose jusqu’en Octobre une exposition consacrée à l’artiste Zao Wou-Ki et intitulée » Il ne fait jamais nuit « .
Je retiendrai de ce parcours dans l’oeuvre de cet artiste d’origine Chinoise la perméabilité de ses toiles aux évènements de sa vie, les influences des peintres français fréquentés très tôt dans ses études d’art en Chine, la technique apprise qui mêle la tradition telle que la peinture de paysage et la calligraphie et celle des maîtres occidentaux.
Une vidéo met en exergue la conception que le peintre a de la peinture : » Il n’existe pas de peinture abstraite, figurative, de mouvements, d’écoles, il y a seulement une oeuvre qui touche ou pas. Tout le reste c’est de la » foutaise » (en substance).
Et bien justement on est touchés par les tableaux de Zao. Touchés par cette alternance de pleins et de vides, de vides qui paraissent là pour mettre en évidence les pleins autour. Ainsi cette sorte de gouffre aux noirs emmêlés qui laisse surgir des contours aux couleurs claires. Nous sommes happés et dans le même temps apaisés, tirés vers les profondeurs et conviés à regarder autour, dans un équilibre entre le tout et ce qui semble le rien.
N’est-ce pas là, au final, une philosophie de vie ? Quand nous sommes tiraillés vers de sombres pensées, ne mettent-elles pas en évidence les beaux aspects que, l’espace de nos angoisses, nous oublions ?
Zao parle de deuil, de séparation, de lumière aussi, omniprésente, d’où le titre de l’exposition.
Zao au pays de Cézanne n’est pas incongru tant il est influencé par son travail sur la lumière. Cette influence comme celle d’autres peintres donnera lieu à des tableaux » hommages » où le sujet est repris et retravaillé, dit avec d’autres traits, d’autres couleurs, une autre impulsion du pinceau dans laquelle on retrouve le geste du calligraphe et la symbolique des signes, un autre langage pour un même sujet.
Dans ce va-et-vient, ce balancement entre deux cultures, tout semble interchangeable et l’on ne sait plus laquelle nourrit laquelle.
L’exposition nous montre un artiste bien dans son époque, avec une vie sociale très dense ponctuée de vernissages, de rencontres avec ce que Paris compte d’intellectuels dans ce vingtième siècle.
L’espace muséal nous donne à vivre une tranquillité, une balade dans un paysage qui nous émeut nous intrigue et nous fait du bien. Zao nous donne à voir ce que nous ne voyons pas, il est cet artiste » voyant » qu’évoque Rimbaud.
On sort de l’hôtel de Caumont avec un léger vertige : celui de la beauté qui joue à se dérober et à se montrer, celui de la lumière dans la nuit, celui du plein lié au vide, celui que fait naitre cette éclaboussure de géographies intimes.


Dominique Mallié

